Quand un peuple parle, ATD Quart Monde un combat radical contre la misère de Bruno TARDIEU

15.00CHF

Editions La Découverte. 264 pages. 2015

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Description

C’est en 1957, dans un bidonville de la banlieue parisienne, que le mouvement ATD Quart Monde a vu le jour. Créé par Joseph Wresinski et des habitants de ce camp, bientôt rejoints par Geneviève de Gaulle Anthonioz, ce mouvement de libération est fondé sur la volonté de ne pas laisser la misère et le gâchis humain qui lui est inhérent s’imposer comme une fatalité. Petit à petit, ce courant d’engagement, d’action et de pensée s’est diffusé à travers le monde et il est aujourd’hui présent dans plus de trente pays, mobilisant des dizaines de milliers de familles très pauvres, ainsi que des citoyens de tous les milieux.

Bien qu’il ait essaimé à l’international, ATD Quart Monde demeure assez peu connu en France. Quelles sont ses méthodes, ses principes, son esprit, son analyse politique ? Telles sont les questions que ce livre aborde, afin de mieux faire connaître un mouvement porté par un refus de l’assistanat, du contrôle ou de l’embrigadement, et par une volonté de libérer les potentiels des populations très pauvres et de tous les citoyens.
De fait, nombre de projets innovants et de combats politiques lui sont redevables : ATD Quart Monde a ainsi introduit la notion fondamentale d’« exclusion sociale » – la misère n’est pas seulement le problème de ceux qui la vivent, elle corrompt la société –, ainsi qu’une nouvelle approche de la lutte contre la pauvreté fondée sur la connaissance que les plus démunis ont du monde, la défense des droits de l’homme, le refus du tri social et la nécessité d’une mobilisation citoyenne.

En France, cette approche a notamment permis de créer la couverture maladie universelle (CMU). En s’interrogeant sur le rôle politique des plus démunis, ce livre ouvre des perspectives pour inventer des alternatives au totalitarisme de l’argent.

Militant, universitaire, délégué national d’ATD Quart Monde pour la France de 2006 à 2014, Bruno Tardieu partage depuis plus de trente ans la vie et les combats humains et politiques de quartiers très défavorisés en France et aux États-Unis.

Bruno Tardieu est également l’auteur, avec Jona M. Rosenfeld, de Artisans de démocratie.

EXTRAIT
La capacité de Chris à nommer, avec humour, l’expérience d’être regardés comme des bêtes curieuses partout où ils vont, a fédéré tous les enfants du quartier ghetto qui ont eux aussi cette expérience. Lui, Chris l’avait à l’extrême, même parmi les enfants du quartier. Il était comme obligé d’en parler, dos au mur, alors que les autres évitaient le sujet. Oser nommer ce que tous les enfants vivent peu ou prou mais sans oser se l’avouer, c’est ce qui finalement fit de l’enfant le plus exclu celui qui fédéra tous les enfants. Et quand sa photo fut publiée dans le Daily News en train d’écrire dans l’ordinateur de rue, avec sur le visage les sparadraps de sa dernière chute, Madame Portalatin, leader reconnue dans tout le quartier fut très mécontente après moi. « Ce n’est quand même pas cet enfant-là, le pire de tous, qui nous représente le mieux, » me gronda-t-elle. Devant mon silence, qui voulait dire « et pourquoi pas », elle me regarda longtemps et eut un rire heureux, un rire beau que j’entends encore trente ans après. La leader comprenait, assumait toute sa communauté et trouvait ça bon — les autres penseront ce qu’ils voudront.

J’ai très souvent refait cette expérience, comme si les leaders des communautés défavorisées que tout le monde pousse à « s’en sortir » en abandonnant les autres, n’attendaient que cette provocation pour changer de stratégie.

René Girard explique que le sacrifice d’un bouc émissaire choisi dans le groupe, fascine le groupe, le scelle et construit la paix dans le groupe. J’ai vu que le changement d’un bouc émissaire en contributeur actif central dans le groupe a un effet tout aussi puissant : si Chris est là, s’il n’est pas rejeté par les animateurs, alors je n’ai pas besoin de craindre pour moi, je n’ai pas besoin de montrer à tout instant que moi je ne suis pas comme Chris, que je suis mieux que lui. S’il est là, la paix vient et on peut se mettre à lire, à peindre, à créer, à jouer.