«Le meilleur de soi-même enfin partagé est bien la réponse à la question humaine de l’exclusion.»

Joseph Wresinski, Colloque «Culture et pauvretés», 1985

La maison de vacances familiales de Treyvaux

Perchée sur la colline qui domine le village, entourée de pâturages et de vergers, se dresse la maison de vacances familiales de Treyvaux.

En compagnie d’une autre famille, Sonia a pu y venir pour la fin de semaine avec ses trois enfants. Léo, huit ans, est en foyer. Les deux petits sont en famille d’accueil.

A peine sorti de la voiture, Léo s’élance, ivre de liberté. Affranchi des contraintes du foyer, il passe de la trottinette au tracteur à pédales, escalade les barrières, joue l’équilibriste sur le toit de la cabane à vélos… Sonia le regarde. Va-t-on ici encore lui reprocher que son fils est intenable? Son rêve le plus cher est que ses enfants n’aient pas à revivre les déchirures qu’elle-même a subies. «J’ai tellement reçu de violence dans mon enfance que quand j’étais petite, je croyais que taper c’était normal.»

Même si ce n’est pas la première fois qu’elle vient dans cette maison, Sonia observe anxieusement Florent et les autres membres d’ATD Quart Monde qui l’accueillent. Elle ne les connaît pas encore très bien, mais elle a le sentiment qu’ici, où viennent des familles qui vivent des situations si proches de la sienne, elle ne sera pas jugée. Elle aurait aimé connaître un tel lieu quand elle était enfant.

Florent est sculpteur. Il porte en lui la liberté. Pour permettre à d’autres de la vivre, il a rejoint le volontariat permanent dans son pays natal, le Burkina Faso. Son engagement l’a conduit vers cette nouvelle mission en Suisse, où il habite aujourd’hui avec sa femme et ses enfants. Lors d’un séjour familial précédent, Florent avait remarqué les accès de violence qui saisissent Léo mais aussi son besoin parfois de se cacher. «Lui fabriquer une cachette au milieu des gens, ça c’est une idée qui devrait lui plaire», s’était-il dit et il avait mis de côté un grand carton d’emballage. En temps normal, on éloigne de Léo tout ustensile dangereux. Pourtant Florent choisit délibérément de lui mettre un couteau dans les mains, pour couper le carton et construire sa maison. Léo est fier. Il découpe une grande porte, écrit au-dessus: «C’est la maison de Léo.»

Quand Léo devient nerveux, Sonia le sent. Elle trouve les gestes pour le calmer. Elle est heureuse de dire: 

«Comme parent, nous aussi on veut protéger nos enfants, il n’y a pas que les éducateurs qui savent.»

«Et la maison des poules, on peut y aller?» Lors de son dernier passage, Léo y avait semé la terreur comme un renard. Cette fois-ci, Léo entre doucement dans l’enclos, tenant la grande main de Florent. «Elles ne vont pas te mordre», sourit sa maman, «si toi tu n’as pas peur, elles n’auront pas peur.» Léo prend une poule rousse dans ses bras, la caresse. «Oh, c’est tout chaud! Elle est bien avec moi, tu as vu?» La poule est bien. Léo est bien. Enfin, avec une précaution qu’on ne lui connaissait pas, Léo ramasse les œufs et les porte à la cuisine sans en casser un seul.

Sur le chemin du retour vers le foyer, Léo a ces mots: «Treyvaux, c’est le pays des merveilles!» A la porte, l’éducateur l’accueille et l’aide à décharger la «maison de Léo» et lui promet qu’il pourra l’installer dans sa chambre.

Plus tard Sonia dira: 

«C’est là que j’ai passé mes premières vraies vacances avec mes enfants. ATD Quart Monde, c’est une force qui nous unit et nous permet d’avancer là où on se croyait perdu.»