Créer pour se dire et décoller…

Créer pour se dire et décoller…

Les séjours de création à la maison d’ATD Quart Monde accueillent des personnes en situation de pauvreté ou isolées. Une porte s’ouvre… à partir de leurs collages.

Les collages me fascinent. Avoir plein d’images devant soi, sur une table remplie de magazines… Puis les feuilleter, chercher des images qui semblent « nous regarder » nous interpeller et on ne sait pas pourquoi. Pourquoi justement cette photo-là, et pas une autre ?

Marie-Claire choisit une belle feuille verte comme support, puis découpe avec beaucoup de soin quatre photos de classes d’écoles. Des enfants de l’autre bout du monde.

Elle cherche ensuite comment amener plus de gaieté pour les enfants dans leurs bancs.

Et dans une petite boîte à trésor, elle a finalement trouvé de minuscules signes magiques qui brillent… un soleil, une étoile, des fleurs… Elle les pose soigneusement comme de petites perles.

Puis elle y découvre de toutes petites lettres… Elle commence alors à composer le mot ECOLE, tout en nous demandant si c’est écrit bien juste. Et comment tourner le E, puis le L, dans la bonne direction…

Le résultat est magnifique !

Elle commence aussitôt un autre collage, cette fois ce sont des fleurs fines et légères qui l’attirent et qui semblent voler sur une feuille orange comme des papillons. Et à nouveau cette impression d’une vraie composition… Comme on le fait au Japon, avec l’Ikebana, me dis-je en la voyant.

Elle ne parle pas, mais il y a cet émerveillement dans ses yeux…

Dans les yeux de cette femme au visage marqué, qui soutient tous les jours son neveu pour qu’il aille à l’école et qui en même temps se fait terriblement blesser par des gens qui ne la prennent absolument pas au sérieux, qui l’humilient par des remarques : Toi la SDF… toi la…

A côté d’elle il y a son amie Michèle.

Michèle, elle, ce sont les oiseaux qui la fascinent… Des oiseaux en cage. Dehors, sur deux arbres, deux arbres morts, des oiseaux en cage… Que veut-elle bien nous dire? Elle qui adore les oiseaux, qui en a chez elle et en dessine souvent, à partir de journaux récupérés…

Puis – sur une carte postale de la maison d’ATD Quart monde – elle pose un grand hibou en haut du toit. Il nous regarde. Veille-t-il sur nous ? Le hibou de la sagesse, comme certains disent ? Il semble regarder sévèrement…

Je pense au fils de Michèle qui participe à notre groupe de philosophie depuis deux ans, et qui nous disait qu’il aime « observer ce monde comme l’aigle qui vole tout en haut dans le ciel…».

Il dit que déjà enfant parfois ce regard-là « le saisissait ».

Je pense aux ados de certaines cultures chamanes, qui s’exercent dans des défis de survie pour trouver leur voie et qui évoquent de tels moments eux aussi. Et s’il y avait un lien là…?

Michèle se plonge dans une autre image : La belle, si belle Suisse, les montagnes, le drapeau qui flotte dans l‘air – « la paix du Heidiland » (pays de Heidi). Puis apparaît à droite tout à coup : Un grand corbeau noir, surdimensionné.

La chanson de l’aigle noir de Barbara me vient à l’esprit, et me donne des frissons… Je tremble en pensant à tant de gens, qui aimeraient danser, chanter, s’envoler dans ce beau pays et qui subissent ce regard terrifiant du mépris, qui pèse sur eux. Et qui peut tuer la vie.

Noldi Christen, volontaire permanent